mardi 21 avril 2009

Problème : trouver un nom

Ce n'est pas un problème récent, mais il a été rencontré de manière singulière au XVIIIème siècle lorsque l'étude des organismes vivants a nécessité une formalisation des classifications / des dénominations : la taxinomie (ou taxonomie, ou taxionomie). La taxonomie est un terme crée par le botaniste suisse Augustin Pyrame de Candolle (1778-1841) pour formaliser la classification en botanique, en introduisant la notion de discontinuité qui n'était pas présente dans les formalismes de Jussieu et Carl von Linné. Ces différents formalismes prennent l'hypothèse que la classification vient avant la dénomination et la détermine.

Aujourd'hui, trouver un nom, c'est généralement trouver le nom d'un produit.

Recherche et expérimentation

Dans le domaine de la recherche en applications pour les utilisateurs, qui est mon domaine d'étude, nous travaillons sur des projets de recherche traitant d'aspects technologiques et de problématiques utilisateurs. Nous mettons au point des démonstrations pour donner une visibilité sur les avancées, et les impacts potentiels de nos recherches. Nous avons également besoin de mettre en oeuvre des phases d'expérimentation sur des groupes d'utilisateurs plus ou moins ouverts. Pour ces trois activités (projet de recherche, démonstration, expérimentation), il nous faut trouver des noms, et donc comprendre ce que l'on nomme :
-projet de recherche : exploration de technologies et/ou d'usages nouveaux; durée de vie : 1 à 3 ans,
-démonstration : démonstration de l'impact novateur de technologies, d'usages, et/ou du potentiel économique; durée de vie : 1 an maximum,
-expérimentation : vérification de la pertinence de l'application en terme d'usage; durée de vie : de 1 mois à l'infini.

Si le projet de recherche ou la démonstration peuvent avoir des noms techniques, "barbares", une expérimentation préfigure ce que pourrait être un produit, et doit être nommée comme un produit.
Parfois ce nom vient naturellement, parfois non. Récemment nous avons rencontré ce problème. Le fait est qu'avant même de trouver un nom, l'équipe doit avoir une vision commune de ce que l'application propose à l'utilisateur. Un défaut classique qui empêche de trouver un nom est de vouloir, ou d'imaginer une application la plus riche possible en fonctions, sans parvenir à choisir les points déterminants à mettre en avant (c'est aussi un problème de design numérique).

Comment commencer?

Le choix que nous avons fait a été de ne pas chercher à nommer directement l'application, mais de procéder à une sorte de classification taxonomique. Le but a été de cerner « un univers cohérent », un concept, un fil rouge sur lequel s’appuie l'application :
-d’où l’intérêt dans une première étape de demander aux personnes de l'équipe d'énumérer des valeurs (pas des fonctions)
-de vérifier si une ou plusieurs de ces valeurs ensemble peuvent se classifier ou évoquer quelque chose,
-de voir si sur la base d’un concept qui aura émergé, on a besoin de recentrer l'application sur un ensemble de problèmes à résoudre limité mais cohérent et justifiable
De ce fait, on aura ainsi travaillé dès l’amont sur les messages « marketing » associés (si une expérimentation c’est un produit, il faut penser dès cette étape au marketing au sens noble du terme).

Ensuite, choisir un nom c'est un processus non-déterministe, facilité par la notion de concept, d’univers, mais au final, il faut faire appel à l’intuition.

Faire le tour de l'univers

En explorant les méthodes de brainstorming, et en discutant avec Fabrice, la méthode du mot au hasard nous a semblé tout à fait appropriée pour le but recherché. Le principe de cette méthode est partant d'un problème:
-de choisir un mot au hasard (dans le dictionnaire, ou autre)
-d'avoir une première phase d'énumération des caractérisques de ce mot et de divergence ouverte par association d'idées
-d'avoir une deuxième phase de divergence en associant au problème de départ
-puis une phase de convergence pour trouver une solution concrète
Dans notre cas, le problème était de cerner un univers pour notre application (que je ne détaillerai pas ici). Nous étions 5 personnes pendant une heure, une personne faisant partie de l'équipe directement, deux personnes proches, deux personnes plus éloignées.


Etape 0 : presentation du problème (durée 5 mn) Présentation du contexte de l'application, et d'images évocatrices associées à cette application avec quelques idées de noms et de slogans.


Etape 1 : choix des mots (durée 5mn) Chaque participants a choisi dans les numéros de "20 minutes" ou "Direct Matin" du jour deux mots évocateurs. Ensuite chacun a utiliser deux votes pour choisir parmi les mots qu'il n'avait pas sélectionné. Voici la liste des mots et les votes : Partage; Génie (3 votes); Horizon (2 votes); Fouillé; Bulle heureuse et insouciante; Son de cloche (2 votes); Gri-gri (1 vote); Météo (1 vote); Hamburger; Grenouille (1 vote).


Etape 2 : association d'idées libre (durée 20mn) Le mot génie ayant été choisi nous avons évoqué tous ce qui nous passait par la tête : 23 mots/expression/idées ont émergées dont "mauvais génie", apparition, lumière, exaucé.


Etape 3 : association au problème (durée 25mn) Nous avons fait cet exercice pour chacune des 23 idées de l'étape 2. Ce qui donne une richesse de description et d'évocation que nous n'avions jusque là pas formulé.


Etape 4 : synthèse express (durée 5mn) Expression des univers que cela nous évoque

Conclusion

Je ne rentrerai (malheureusement) pas dans le détail des résultats, mais ce qui ressort de cet exercice est qu'il nous a permis de rendre explicite des choses qui nous semblaient parfois évidentes, ou qui restent implicites, et que l'on oublie de formuler.
Par exemple, pour n'en citer qu'une, la notion de "magie". En tant que chercheur/ingénieur, nous avons parfois tendance à oublier, voire à refuser l'impression qu'un utilisateur "lambda" peut avoir devant une application : "mais comment ça marche? c'est magique? ... "
Suite à cette séance de brainstorming, nous avons détouré un univers autour de cette notion de magie, et envisagé des premières pistes de nom. Mais surtout, en raccrochant l'application initiale à cet "univers", il s'est avéré essentiel de faire des choix sur les principes même de l'application, de sa mise en oeuvre, des interactions et de la présentation pour maintenir une cohérence d'ensemble : c'est ce type de choix, parfois radicaux, qui fait la différence entre deux applications.
Il est nécessaire maintenant de reboucler avec le monde réel, c'est-à-dire les utilisateurs, afin de vérifier, au minimum leur adhésion à cet univers.

jeudi 16 avril 2009

Recherche expérimentale et expérimentation sociotechnique

La recherche dans le domaine des applications logicielles a deux faces. Pile, un chiffre. Face, une silhouette. La technique et l’humain ? On fabrique la technique mais -du moins j’aime le croire- on ne fabrique pas l’humain. La technique et son interface avec l’humain ? Précisons.

L’ingénierie technique, dans le sens du développement de technologies permettant de répondre à un problème donné, voilà le chiffre. Celui-là est intuitif pour les ingénieurs, passons. Comme nous parlons d’application, nous parlons de gens qui vivront quotidiennement avec la technologie en question, ou plutôt avec l’objet qui l’encapsulera et la présentera. L’ingénierie sociotechnique, dans le sens du développement d’interactions entre des gens à venir et de la technologie envisagée, voilà donc la silhouette. L’expérimentation est-elle destinée à permettre à l’ingénieur d’appréhender cette silhouette ? Oui, mais pas seulement.

Oui, car la construction des hypothèses sociotechniques qui permettront de définir la forme de l’application nécessite d’extrapoler l’humain. Les expérimentations de terrain à bases d’hypothèses spéculatives seront donc indiquées. Mais le développement de la technologie en devenir, puisqu’elle qu’étant disruptive ou révolutionnaire elle n’est pas déduite d’une technologie existante, ne pourra relever que de la recherche expérimentale, en laboratoire. L’alternative est de développer au hasard des choix technologiques…

Nous voilà donc avec deux formes d’expérimentations, la recherche expérimentale et l’expérimentation sociotechnique, dissociées dans la forme mais indissociables dans le fond. Dans le domaine de la recherche en applications nous l’appelons simplement : l’expérimentation.

mardi 14 avril 2009

Recherche-innovation spéculative

Voici une définition tautologique de la recherche à destination des ingénieurs. Parce que le but de l'ingénieur est de répondre à un problème technique, et que le but de la recherche est d'arriver à une meilleure compréhension du monde, l'ingénieur de recherche se demande parfois ce qu'il fait dans cette galère. Il cherche bien sûr. Cela il doit l'assumer...

La recherche en applications, dans l'univers d'Internet et des communications, ne vise pas principalement à produire de nouveaux services. Les équipes de développement répondant à des besoins immédiats du marché sont là pour ça. La recherche est par nature plus ouverte, expérimentale et incertaine. Faire de la recherche, c'est se poser des questions sur les technologies du futur mais aussi sur les "gens" du futur, de là formuler des problématiques sur de possibles interactions sociotechniques puis trouver des moyens pour les ausculter, analyser les résultats obtenus pour enfin explorer la façon dont on pourrait répondre aux questions initiales. Parfois on obtient des réponses... sous la forme de nouvelles technologies, mais aussi de business plans ou d'étude sur les comportements utilisateurs.

On peut donc parler de "recherche-innovation spéculative" dans le sens ou on applique la méthode scientifique à l'étude de la mise en relation de l'humain et de la technique afin de révéler des potentiels encore inexprimés, et par nature invérifiables.